Cela commençait à devenir inquiétant.
Depuis plusieurs jours déjà, Jeremiel m'évitait. Quand je me retrouvais au même endroit que lui, il partait. Si je tentais de le rejoindre, il fuyait. Que se passait-il ? Avais-je fait quelque chose de mal ? Plus le temps passait, et plus j'avais peur qu'il ne veuille plus jamais me parler. Je n'étais pas un petit dinosaure craintif : je voulais savoir ce qu'il lui arrivait et si c'était de ma faute, réparer mon erreur. Ne pouvions-nous pas redevenir proches comme avant ? Peut-être avait-il développé une allergie aux reptiles du jurassique ? Albert était aussi triste que moi car il n'allait plus lui rendre visite non plus, dans son enclos. Pourtant, il se rendait chaque soir au zoo, sans emprunter la porte principale. A la place, il entrait par un trou dans le grillage qu'il remettait ensuite correctement. Je l'avais suivi plusieurs fois afin de comprendre ce qu'il fabriquait.

Cette nuit-là, les étoiles étincelaient fort dans le ciel lorsqu'il pénétra dans le zoo fermé depuis plusieurs heures. Les cris paisibles des animaux nocturnes résonnaient tout autour de nous, depuis les enclos. Je me déplaçai le dos collé contre les différentes parois en verre, espérant que Jeremiel ne me remarque pas malgré son sixième sens sur-développé. Il ne tourna pas la tête une seule fois vers moi.

Rassurée par mes talents furtifs -après tout, il fallait savoir se cacher quand Dent Tranchante n'était pas loin, à l'époque- je trottinai sur la pointe des pieds pour me recroqueviller derrière un bac de poissons destinés aux otaries. Depuis ma cachette, je voyais très bien Jeremiel. Il s'était arrêté devant la porte du bureau principal. Bientôt, cette dernière s’entrebâilla et Lily apparut. Elle discuta un peu avec lui avant de lui donner un trousseau de clés. Il repartit aussitôt de sa démarche habituelle, à la fois lourde et désinvolte.

Fronçant les sourcils, je marchai à quatre pattes afin de ne pas me faire repérer. Lily avait déjà refermé la porte. Et de toutes façons, ce n'était pas elle que je souhaitais interroger. Je gardai les yeux rivés au sol tandis que je marchais par terre quand soudain, le haut de mon crâne heurta quelque chose. Surprise, je sursautai et renversai la tête en arrière, la bouche entrouverte. Jeremiel était tourné vers moi et m'observait d'un air impassible.

Il est vrai que ça devait être étrange de me voir avancer à quatre pattes en pleine nuit au beau milieu du zoo.

"Euh... j'essaie de retrouver mes origines." mentis-je. "Parfois, ça me fait du bien d'être sur quatre pattes au lieu de deux. Même si ma colonne vertébrale n'est pas du tout adaptée à cette position de façon prolongée."

Je grimaçai légèrement et me relevant, je titubai un peu avant de cligner des yeux et de faire une petite moue.

"Non, en fait... je veux savoir pourquoi tu m'évites depuis un moment et pourquoi tu vas voir Lily en cachette. A quoi servent ces clés ?" l'interrogeai-je en désignant les petits objets métalliques dans sa main. "Ca aide à ouvrir des portes, mais tu n'en as jamais eu besoin pour ta cabane... Ca veut dire que tu as une maison, maintenant ? Avec une serrure pour la fermer à clé ?"

J'étais sincèrement stupéfaite à cette idée. Jeremiel n'avait jamais vu l'intérêt d'avoir des clés. S'il en avait eu, il les aurait perdues. Alors, pourquoi ?

Tu me manques ! songeai-je si fort que je me demandais s'il avait entendu.

Je n'allais pas le dire à voix haute, même si c'était la vérité, car il ne faut pas trop montrer à un garçon qu'il nous plaît. Jezabel m'avait donnée ce conseil et je le conservais précieusement. Pourtant, tout ce que je voulais en cet instant, c'était me précipiter dans les bras de Jeremiel et lui lécher la joue. J'esquissai un pas vers lui mais écarquillai subitement les yeux et glapis un : "Non !" en réalisant que je devais être forte. Il me devait d'abord des explications.

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