Je coupai le moteur de mon scooter et j'humai à pleins poumons l'odeur de Storybrooke. L'air était humide. Ca sentait le sapin et la neige fondue. Le nez en l'air, j'inspirai une fois de plus puis j'enlevai mon casque pour le poser à l'arrière du siège. Après quoi, je me levai souplement, accrochai l'antivol à la roue arrière tout en me gelant les doigts contre la pompe à incendie couverte de neige, puis rehaussant mon énorme sac sur mon dos, je me dirigeai vers le poste de police.

La porte s'ouvrit en grinçant, signe que la ville ne devait pas avoir beaucoup de subventions pour entretenir les locaux. Quand on vient de Las Vegas où tout brille et tout est neuf, ce genre de détails vous saute aux yeux. Le silence des lieux m'intrigua. Même une ville défavorisée avait son quota de flics, non ?

"Eh oh ! Y a quelqu'un ?"

Ma voix résonna en écho contre les murs, et se perdit dans le néant. Sans me laisser démonter, je m'éclaircis la gorge et poursuivit mon exploration des lieux, tenant les bretelles de mon sac à dos pour me donner une contenance. Au bout du couloir désert, je parvins dans un bureau pourvu d'une cellule de garde à vue.

Et là, je tombai sur la plus belle femme de la création. Bon, j'y allais peut-être un peu fort. Pour le moment, je ne la voyais que de dos, mais quel dos ! Elle portait une veste en cuir rouge, un pantalon moulant ultra-sexy et des bottes de cavalière. Elle était penchée sur son bureau, ses longs cheveux dorés tombant en cascade. J'avais toujours eu un faible pour les blondes.

"Excusez-moi je..."

Le son de ma voix eut l'effet escompté, car elle se retourna. J'écarquillai les yeux, étonné par cette apparition. S'il y avait des filles aussi belles à Storybrooke, pas étonnant que cette ville ne soit indiquée sur aucune carte ! Il fallait éviter les émeutes ! Sans trop savoir que dire, je me contentai de la fixer avec un sourire un peu niais. Puis soudain, me souvenant de ce qui m'avait amené dans un poste de police, je me repris et demandai d'un ton outrancièrement sérieux :

"Est-ce que vous pouvez me dire où se trouve l'office de tourisme ? Parce que j'ai fait le tour de la ville et je ne l'ai pas trouvé. Charmante ville, soit dit en passant. Pleine de... promesses."

Nouveau sourire béat. Contrôle-toi Elliot, elle va croire que tu t'es échappé d'un asile. J'esquissai un nouveau sourire, que j'espèrais viril, et je rehaussai une fois de plus mon paquetage qui commençait à peser vraiment lourd sur mon dos. Finalement, je pris la liberté de faire le tour de la table pour le poser sur la chaise la plus proche dans un soupir.

"Ah. C'est mieux comme ça. Ca fait des heures que je roule avec mon sac sur le dos."

J'essayais de ne pas la regarder avec trop d'insistance, afin de ne pas la mettre mal à l'aise, mais mon regard s'attarda sur sa ceinture à laquelle était accrochée une insigne de shérif. Aussitôt, je la dévisageai, perplexe : cette femme était le shérif de la ville ? Sérieusement ? Wouah, Storybrooke allait me plaire, je le sentais bien !

Une ville sans office de tourisme ? C'était plutôt étrange... Jamais encore je n'avais entendu de telles balivernes. C'était sûr, la jolie blonde se moquait de moi. J'avais arpenté suffisamment de bitume, vu suffisamment de métropoles pour savoir qu'un office de tourisme existait dans n'importe quel bled. J'en déduisis qu'elle cherchait à me cacher quelque chose, ce qui lui rajoutait un je-ne-sais-quoi de particulièrement sexy. Une fille qui a un secret, c'est irrésistible, mais une fille shérif qui a un secret, c'est carrément noël avant l'heure. Je tentais de rester parfaitement calme tandis qu'elle me proposait son aide pour "m'y retrouver", comme elle disait. Je sentis mes orteils frétiller dans mes chaussures et je me composai une expression faussement désinvolte pour maîtriser le feu d'artifices qui explosait dans mon cerveau.

Je hochai la tête frénétiquement à sa question. J'aurais fait n'importe quoi pour rester plus longtemps en sa compagnie.

"Oui, c'est ça ! Dormir et manger ! C'est dingue, on pense aux mêmes choses en même temps !" m'écriai-je, un peu trop surexcité. "On doit avoir une sorte de connexion, un truc..."

Je ravalai la suite de mes paroles en entendant un bruit d'imprimante dans mon dos. Sauvé par le gong, comme on dit ! J'étais plutôt content de cette diversion, car j'étais en train de partir sur un terrain miné... Je n'y pouvais rien si je m'enflammais facilement.

Oubliant notre "conversation", je me levai d'un bond et me plantai devant l'imprimante. Je me grattai le menton d'un air pensif, puis d'un geste magistral, appuyai sur le bouton rouge qui clignotait comme s'il allait déclenchait un compte à rebours. L'appareil grogna et ne daigna pas effectuer ce que je lui demandais. Alors, me souvenant de la méthode de ma mère, je tapai dessus un grand coup. La machine s'ébranla alors, émit un bruit proche d'un hoquet surpris, et se mit à imprimer dix feuilles d'affilée. Je me tournai vers la jeune femme, un grand sourire aux lèvres.

"Si vous avez besoin d'un réparateur dans le coin, je suis preneur ! Je cherche un boulot, justement !" lançai-je d'un ton faussement modeste.

Et voilà comment insinuer que je comptais rester. Cela pourrait l'inciter à vouloir me connaître davantage, qui sait ? Après tout, un mec qui se pointe sur un deux roues et qui se la joue globe-trotter, c'est carrément canon !

Non ?

Oulah, question piège ! Je la fixai d'un air indécis, cherchant la meilleure réponse à fournir. Il fallait que je trouve très vite une répartie sinon elle allait trouver ça louche. Un silence qui s'éternise, ce n'est jamais bon. Pourtant, je ne pouvais pas lui balancer que je cherchais mon père. Je ne voulais pas passer pour un espèce d'orphelin tragique. Il ne fallait surtout pas qu'elle éprouve de la pitié pour moi. La pitié, c'est loin d'être sexy. Le mieux, c'était de rester évasif sur le motif de ma venue. Ainsi, je gardais une part de mystère.

"J'ai de la famille par ici." dis-je avec une assurance qui me surprit moi-même. "Je ne l'ai pas vue depuis longtemps, les retrouvailles risquent d'être... pas très évidentes. Mais je suis confiant. Jusqu'ici, mon optimisme ne m'a jamais trahi !"

J'esquissai un grand sourire tout en la regardant, tout fier de mon mensonge qui n'en était pas vraiment un, à la réflexion. Puis je me laissai à nouveau tomber dans le fauteuil juste à côté de moi, comme si j'étais un habitué des lieux. Je lançai un bref regard circulaire avant de soupirer d'un air ravi :

"Aaaah... j'aime tellement cette ambiance ! Barreaux, chaises électriques, menottes... Enfin, je ne veux pas dire par là que je suis un habitué des prisons !" ajoutai-je précipitamment pour éviter une méprise. "Je ne suis jamais allé en prison ! Je suis vierge, enfin j'ai un casier vierge ! Totalement vierge ! Vous pouvez vérifier sur votre ordinateur si vous voulez..."

Mais qu'est-ce que tu es en train de dire ?

Je me tus avant de me ridiculiser davantage. C'était terrible quand ma langue marchait plus vite que mon cerveau ! J'évitai la demoiselle du regard pendant quelques instants puis je répondis enfin à voix basse, tout en fixant mes mains :

"Je vais plutôt me contenter d'un bon lit pour l'instant, parce que si je suis aussi éloquent dans mon entretien d'embauche, ça risque de ne pas le faire."

Je levai les yeux timidement, un demi-sourire aux lèvres. J'espérai au moins l'amuser à défaut de passer pour le mec rempli de testostérone. Puis, avec un courage inattendu, j'osai parler à nouveau.

"Le crétin en face de vous s'appelle Elliot. Elliot Sandman. Ca veut dire "marchand de sable". Une fille m'a dit une fois que j'endormais tout le monde parce que je parlais trop."

Je haussai les épaules, dubitatif et contrit.

"Et vous ?"

A son expression, je compris qu'elle pensait que je voulais savoir si elle aussi avait un effet somnifère sur les gens, ce qui était loin d'être flatteur. J'ajoutai donc, la gorge sèche :

"C'est quoi votre nom ?"

J'avais plutôt envie de lui demander "Vous faites quoi ce soir ?" mais je crois que la réponse aurait été une mise en garde à vue, dans une cellule fermée à double tour avec mon paquetage pour toute compagnie.

Emma Swann... Un patronyme ravissant, digne d'une princesse. D'ailleurs, elle avait un air de princesse guerrière avec ses boucles blondes et son arme sagement rangée à sa ceinture. Je chassai de mon esprit l'image d'elle vêtue en amazone, secouai la tête et tentai de prêter une oreille attentive à ce qu'elle disait.

Subitement, le menu pause surgit dans mon cerveau avec une musique d'ambiance tandis que j'absorbais ses paroles. Dans ma tête, toutes mes pensées se mirent à bégayer. Elle... Elle... Elle me pro-proposait d'aller dîner ? J'étais tellement efficace ? Je m'impressionnais moi-même. Aucun doute, être le petit nouveau dans la ville faisait un effet boeuf au shérif. Quelque part, cela m'attrista, car cela signifiait qu'elle ne devait pas faire beaucoup de connaissances. Après tout on s'en fichait, ce qui comptait, c'est que j'avais un ticket avec une jolie fille !

Je sautai sur mes pieds, attrapai mon paquetage d'un geste empressé et le mit sur mon dos, retrouvant mon allure de tortue Galapagos, puis je me dirigeai vers le couloir.

"Chez Granny's, c'est partiiii !" claironnai-je d'un ton enjoué.

Dans l'embrasure de la porte, je me retournai, étonné de ne pas voir Emma me suivre.

"On y va ?" demandai-je timidement.

Et soudain, je compris mon erreur. Elle ne voulait pas venir avec moi, elle souhaitait sûrement me donner un plan de la ville avec une croix pour désigner le restaurant ! Mon visage perdit toute couleur tandis que ma paranoïa reprenait le dessus. Puis je tentai de me calmer. C'était ridicule de penser une telle chose. Seul un pirate aurait donné une carte avec une croix pour indiquer le butin. Dans ce cas précis, le trésor était juste en face de moi, je n'avais besoin d'aucun plan pour l'obtenir. Tout ce qu'il me fallait, c'était suffisamment de courage et de dévotion pour garder son attention. Les yeux frénétiques, je plantai mon regard dans le sien et lançai sans vraiment réfléchir :

"Il va de soi que je vous invite ! Je vous sens réticente mais... Je suis d'excellente compagnie à table ! En plus, je ne fume pas, donc vous ne serez pas incommodé par l'odeur de la cigarette. Après si vous fumez, l'odeur ne me dérange absolument pas, même si ça imprègne les cheveux... Mais étant donné que je ne compte pas mettre mon nez dans votre chevelure luxuriante, tout devrait bien se passer !"

Je restai planté là, devant elle, en dansant lentement d'un pied sur l'autre pour garder l'équilibre car mon paquetage plus lourd que moi avait tendance à m'attirer en arrière.

Chevelure luxuriante ? songeai-je en souhaitant me tuer sur-le-champ. Tu es sérieux ? Tu viens vraiment de dire ça ?

"Et je ne mange pas de plat qui pue, ce qui est un bonus non négligeable !" ajoutai-je avec une moue convaincue.

Je me balançai d'avant en arrière, attendant qu'elle donne le coup de grâce en refermant la porte du couloir sur mon nez.

Le petit restaurant était accueillant et peu rempli à cette heure de la soirée. Dès que j'entrai, je humai à pleins poumons l'odeur de friture et de steak haché. Aussitôt, je sentis mon estomac crier famine. C'est fou à quel point j'avais faim ! Tout naturellement, je me dirigeai vers une table postée contre la vitre mais attendis qu'Emma prenne place avant de m'asseoir à mon tour, juste en face d'elle. Après quoi je lui adressai un sourire quelque peu nerveux, allongeant mon bras sur le dossier du banc dans une attitude faussement détendue. Curieusement, me retrouver dans un resto avec une fille me faisait me souvenir de mon dernier dîner en tête à tête avec Astrid, mon ex. Ce fameux dîner où j'avais décidé de rompre avec elle... Mon estomac protesta à nouveau, mais plus en raison de la faim, cette fois-ci.

Je passai une main dans mes cheveux ébourrifés puis m'éclaircis la gorge. Je décidai d'observer les lieux pour m'empêcher de penser à mon ex. Ce n'était vraiment pas le bon moment. C'est alors que je m'aperçus d'une chose étrange : le peu de clients présents m'observaient tous à la dérobée. Etait-ce un effet de mon imagination ? Je me redressai, mal à l'aise par tant d'attention, et faillis partager mon impression avec le shérif, mais je me rendis compte qu'elle-même me fixait de façon curieuse par-dessus le menu qu'elle tenait en mains. Que se passait-il à la fin ?

"Vous n'êtes pas habitués à voir des nouveaux venus dans le coin, je me trompe ?" lançai-je dans l'espoir de détendre l'atmosphère.

Soudain, j'entendis la sonnette de la porte tinter. Je me retournai et vis une femme élégante s'avancer vers le comptoir. Elle commanda un café à emporter que la serveuse lui servit. Entre-temps, j'aperçus la vieille dame qui tenait le restaurant sortir de la réserve avec, entre ses mains, ce qui semblait être une arbalète. J'écarquillai les yeux. Farouche, la mémé ! Elle fixait la femme en tailleur d'un oeil agressif, limite assassin... La jeune femme brune se plaça brusquement devant elle, chuchotant quelque chose qui parvint à mes oreilles malgré son application pour rester discrète :

"Grand-mère, range-moi ça !"

Puis furtivement, elle me désigna du bout du menton. Je fronçai les sourcils. Non décidément, quelque chose n'était pas normal. La mémé retourna dans l'arrière-boutique d'une démarche agacée, et la femme en tailleur sortit avec son café en main, après avoir adressé un sourire quelque peu intrigué à Emma. Alors, je pivotai de nouveau vers elle, impatient qu'elle m'explique certaines choses.

"Vous la connaissez ? Enfin si je comprends bien, tout le monde connaît tout le monde ici. Il faut dire que c'est une petite ville... Je ne fais pas trop les petites villes. Je préfère les grandes agglos avec leurs centres commerciaux gigantesques et leur animation perpétuelle... mais bon, ce n'est pas moi qui ai décidé de venir..."

D'une certaine manière, je n'avais pas tort. Après tout, la carte avait décidé pour moi. Je tapotai des doigts sur la table vert pâle, impatient de commander. Je sentais toujours tous les regards posés sur moi, c'était plutôt agaçant à la longue. J'espérai qu'on n'allait pas me dire gentiment de dégager sous réserve de menace, car je n'avais pas envie de me la jouer cowboy.

Subitement, mon regard fut attiré vers la vitre. Un homme venait de passer, marchant dans la rue d'un pas tranquille. Mon coeur manqua un battement tandis que je me dressai sur mes pieds, surprenant tout le monde dans le resto.

"C'est... c'est... Oh puta*n !"

Je me précipitai hors du restaurant, oubliant Emma et les gens bizarres qui me scrutaient. Une seule chose comptait, désormais. Je l'avais vu, j'en étais persuadé ! Il n'avait jamais été aussi près de moi ! Je courus dans la direction qu'il avait prise, glissant sur le trottoir détrempé. La ruelle se terminait par un cul-de-sac. Il était là, à environ dix mètres.

"EH ! PAPA !"

Non mais quel nul. Jamais encore on n'avait fait aussi pitoyable. Mais que pouvais-je dire d'autre ? Au moins, cela avait eu le mérite d'attirer son attention. Derrière moi, j'entendais des bruits de pas se rapprocher. Je n'en avais rien à faire. Je ne pouvais détacher mon regard du sien, mon coeur battait la chamade. Il s'écoula une seconde abominable pendant laquelle je ne savais que faire. Devais-je m'approcher ? Lancer une conversation ? Comment faire pour tuer 21 années de silence ?

Soudain, il disparut dans une envolée de flammes plus hautes que lui. Je sursautai et déglutis avec peine, le souffle coupé. Puis ce fut de nouveau le silence dans la ruelle.

Je restai là, les bras ballants, reprenant mon souffle en ayant l'impression d'avoir laissé mon corps derrière moi. Je n'eus pas besoin de tourner la tête pour constater qu'Emma m'avait suivi. Elle avait sûrement dû voir un homme disparaître dans les flammes, les questions n'allaient pas tarder à tomber. Au moins, désormais, je n'avais plus aucun doute là-dessus : mon père était bel et bien un dieu. Toutes mes certitudes de petit garçon me revinrent brusquement en mémoire mais curieusement, cela ne me rendit pas plus fort.

"Je sais que vous allez me le demander alors je vous le dis." dis-je d'un ton terne. "C'est pour lui que je suis venu. Pour mon père. Maintenant vous pouvez m'enfermer dans un hôpital sécurisé et me disséquer, je m'en moque. Mais je suis au regret de vous apprendre que je ne sais pas faire de tour de passe-passe." ajoutai-je avec amertume. "Je ne suis pas intéressant."

Pas suffisamment. C'était pour ça qu'il était parti. C'était pour ça qu'il n'avait pas voulu me connaître. J'étais sans intérêt pour lui.

Je déglutis une nouvelle fois et me détournai pour éviter qu'Emma voit mes yeux briller. Pas facile de draguer quand on avait envie de pleurer...